Une semaine après le crash du C-130 Hercules de l’armée de l’air, qui a fait 77 victimes, Aïn M’lila et tout l’arrière-pays chaoui sont encore sous le choc.
De l’autre côté de la montagne où a eu lieu l’accident, on devine au loin Constantine. La piste de son aéroport, exactement dans l’axe de visée, est même visible. Sur la route où les mesures de bouclage ont été allégées, le barrage sur le chemin vers la petite commune de Ouled Gacem a été levé. Ce mercredi, il est 15h et le village sommeille à l’ombre des deux monts qui lui barrent la vue vers le Sud. L’imposant mont Guerioune, aux airs d’Assekrem, écrase le petit Djebel Fertas à sa gauche. Une retenue collinaire complètement à sec sépare le village de ces reliefs. Un homme nous oriente vers le petit hameau des Ouled Khaled, juste avant la mechta Ali Ben Taïeb. La route file entre les deux montagnes, une stèle anonyme marque l’endroit d’une bataille passée, un cimetière des martyrs n’est pas loin. Mais la région, à un jet de pierre de l’antique Sigus, révèle aussi des vestiges plus anciens, dolmens et soubassements d’ouvrages romains.
Là, apparaît la queue blanche du défunt 7T-WHM, comme accrochée à l’arrête supérieure de Djebel Fertas. Les trois fermes qui forment le douar d’El Guabel sont un véritable terminus, à 1000 m d’altitude. Pour rejoindre l’appareil, à 300 m de dénivelé plus haut, il faut parcourir 6 km pour y parvenir. Des voitures immatriculées à Batna et Oum El Bouaghi sont parquées çà et là. Des curieux, nous dit-on, voulaient monter mais en ont été dissuadés par les gendarmes sur la route. Le chemin est dangereux et il est vraiment inutile de tenter l’ascension, un point de contrôle à mi-parcours où se trouvent les bulldozers de l’armée et de la direction des travaux publics barre la route. A 16h, arrive la relève du bataillon du GIR de Aïn M’lila, en charge de sécuriser le sommet.
D’emblée, l’image qui frappe est le sillon tracé à même la rocaille, qui mène jusqu’au site du crash. Il aurait été fait très rapidement pour permettre aux véhicules d’accéder. Les traces de morsures sans suite des bulldozers montrent à quel point la progression jusqu’au sommet a été difficile. La piste, parfois trop abrupte pour les 4×4 ou les petits camions, a été rectifiée à plusieurs endroits. Une sacrée prise de risque, car le chemin a été tracé sur les bords d’un ravin de plus de 100 m de hauteur. Le point de contrôle passé, il reste encore une trentaine de minutes de marche avant d’arriver au sommet.
Les pas des gendarmes deviennent lourds mais les langues se délient. «Nous étions les premiers à intervenir après le crash», nous explique un jeune sous-officier. «Le GIR de Aïn M’lila est le groupement de personnel militaire le plus proche, il avait besoin de bras, nous avons tous répondu ‘présent’», ajoute-t-il. «Ce parcours, on l’a fait sans piste, et dans le mauvais versant de la montagne. Il neigeait et l’adrénaline nous a fait grimper en courant les 300 m de dénivelé», grimace le plus âgé du groupe. Et d’ajouter : «En arrivant, un spectacle de désolation nous attendait, des cadavres partout, beaucoup étaient calcinés ou mutilés, je ne sais pas comment nous avons pu les déplacer. C’était horrible, un véritable cauchemar.»
Au détour d’un bosquet, les gendarmes changent de direction et prennent le cap de leur camp, un peu en amont du site du crash. Durant l’heure qu’a duré l’ascension, nous reçûmes un salut courtois de l’ensemble des jeunes du GIR que nous croisions, visages fermés et traits creusés, ils ne montraient aucun plaisir à quitter les lieux du drame. La tente d’une section de soldats du génie ouvre le site du crash, la queue de l’appareil, quasi intacte, git à moins de 100 m. La pente abrupte laisse, à partir de là, la place à une autre plus douce et à une triste réalité : il s’en est fallu d’à peine quelques mètres pour que l’appareil connaisse un autre sort.
Les restes des débris complètement calcinés se trouvent 20 m plus haut.
Les ailes sont posées de part et d’autre de la queue, la droite plus en hauteur. Dans ce fatras de métal et de cendres, un drapeau flotte. Une couronne de fleurs est posée sur un trépied. Le périmètre du crash est très petit, il dénote que l’appareil a percuté à très faible vitesse le sol, sans tenter de manœuvre. Dans le ciel, quatre avions, dont un Ilyushin de l’armée, passent, imperturbables, exactement à la verticale du site. Ce qui confirme encore la piste de fausses données altimétriques qu’ont pu recevoir les pilotes suite à une erreur, à une panne ou à une mauvaise indication émanant du contrôle aérien. Au-delà des restes de l’appareil, un gant chirurgical abandonné sur le sol reste la dernière trace du sauvetage. Un nuage givrant enveloppe soudain le sommet, annonçant la fin de notre visite sur les lieux.
In El Watan
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