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Comprendre la guerre au Karabakh

Lorsqu’en 1221 les troupes du roi Georges IV de Tbilissi, barrèrent la route au formidable raid de Subotaï et Djebbé, les deux généraux mongols, ils ont choisi la plaine au piémont du Karabakh pour reprendre leurs forces, se regrouper et panser leurs plaies. L’endroit est probablement le dernier kilomètre de pâturage avant le Caucase et la fin, physique de la mer des chevaux Mongols. Au delà, pour Subotai et Djebbé, un monde inconnu allait s’offrir à eux au bout une reconnaissance en force les menant de Khawarizm jusqu’à Kiev.

C’est pour dire que cette terre sent, l’acier, le sang, le souffre et la salpêtre, on n’y mange des aliments simples, qui se mangent crus s’il le faut, qui réchauffent le cœur et qui remontent le moral. La capitale, Stepanakert, est une petite ville soviétique avec ses écoles numérotées, son théâtre, sa grande place pour les défilés, ses cités dortoirs, son parc aux mariés avec ses joueurs d’échecs et leurs admirateurs, Stepanakert est à prendre ou à laisser, c’est d’ailleurs son destin de capitale récente d’un pays récent entouré de montagnes et surtout d’histoire avec un grand H.

A 9 km à l’Ouest de la capitale, sur la route de l’Arménie, se trouve Susa, perchée sur un nid d’aigle, citadelle moyenâgeuse qui a été l’épine azérie au cœur du Karabakh et qui a servi à bombarder sa capitale pendant plus de trois ans de façon continue au début des années 90.

Désolé de le dire ainsi mais le Karabakh (jardin noir) a des paysages qui rappellent l’Algérie. On y arrive par Erévan, la capitale arménienne par deux routes, toutes deux montagneuses: celle du Sud aux montagnes sombres et aux cheminées de fées semblables à celle de Kapadoce en Turquie et celle du Nord en logeant le lac Sevan, une véritable mer intérieur séparant l’Arménie de la Russie.

Les pieds sur le territoire Karabaçi, on sent à peine les embruns de la mer caspienne qui est à 80 km, on est à quelques kilomètres du Caucase russe, on est voisin de la Turquie, de l’Iran, Mossoul en Irak est à à peine 200 Km, on ne sait absolument pas si l’on est en Europe ou en Asie, en pays musulman ou en fief chrétien (l’Arménie étant le plus ancien pays chrétien au monde). Les distances sont courtes mais les voyages sont longs et pénibles, pour parcourir les 300 km qui séparent Yérévan de Stepanakert, les fourgons japonais, volant à droite, aménagés en minibus et roulant au gaz mettent six heures.

J’ai eu la chance d’être invité à un presstour organisé en 2018 à l’occasion des 30 ans du mouvement pour l’indépendance du Karabakh. J’y suis allé pour voir, comprendre et surtout ne pas prendre parti.

Avant de de parler des causes du conflit et de la reprise des combats, je vais essayer de dresser un état des lieux géopolitique de la région.

Les voisins de l’Arménie indissociable du Karabakh sont au Nord: la Géorgie, à l’Ouest la Turquie, au Sud, le Nakhitchevan qui est une exclave azérie et l’Iran et à l’Est l’Azerbaïdjan. La Géorgie est peuplée d’Orthodoxes chrétiens de l’Eglise autocéphale de Géorgie, les Arméniens sont majoritairement Orthodoxes de rite Arménien, les turcs sont musulmans sunnites, les iraniens musulmans Chiites avec une forte communauté turcophone au Nord  dans la région de Tabriz, les Azéris sont musulmans chiites, enfin les Russes, présents sur place sont de rite orthodoxe russe. Pas de lingua franca dans le Caucase à part le Russe mais les langues turques et persanes sont largement usitées et ne sont pas étrangère à la région.

Pour ce qui est du jeu d’alliances, poussé à l’extrême nous avons:

Héritage de l’URSS et de la guerre froide, la 102e base russe de Gyumri, où stationnent 3000 hommes. Mieux, c’est la Russie qui garde la frontière avec l’Iran et la Turquie. En théorie Moscou est l’alliée d’Erevan mais disons que les russes vendent des armes aussi aux azéris et ne se mêlent pas de ce qui se passe à l’Est, leur seul objectif est de garder cette frontière avec un pays membre de l’OTAN. Moscou n’est donc l’allié de personne, tant que personne n’est l’allié d’un énnemi.

L’Azerbaïdjan, pays turcophone est très lié politiquement et militairement à la Turquie avec qui il existe un accord stratégique, pour cette alliance la différence sunnite chiite est mise de côté.

L’Iran chiite est amie de l’Arménie orthodoxe et se méfie de l’Azerbaïdjan chiite.

L’Azerbaïdjan chiite est très ami avec Israël qui a toujours vu ce pays riverain de l’Iran comme une rampe de lancement ou un porte avion en cas de guerre totale contre Téhéran.

Les Etats-Unis rêvent du modèle Géorgien en Arménie pour en faire un pays anti-Russe et une démocratie Européenne.

S’ajoute à cela des combattants de tous ces côtés ayant fait le coup de feu en Syrie et en Irak et l’on obtient un cocktail explosif. Pis encore, le conflit arméno-azéri a des échos en Inde et au Pakistan à propos du Cachemire indien. Erevan soutenant l’Inde et Islamabad ayant pris fait à cause pour Bakou.

Enfin, l’Arménie ne reconnait même pas l’indépendance de la République Transcaucasienne d’Artsakh, forme officielle du Nagorno-Karabakh d’après la fin des hostilités en 1992.

Historiquement c’est le même imbroglio, le territoire est conquis par les Russes à la fin du 19e siècle pendant les guerres du Caucase puis a laissé naître une République Azérie laïque, très vite récupérée par l’URSS naissante. Après la prise du pouvoir des bolchéviks en 1920 en Arménie Moscou décide de couper l’Arménie avec un couloir azéri et crée l’Oblast (département/wilaya) du Haut Karabakh en 1923. Les Républiques Démocratiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan s’étaient disputées le territoire pendant leurs courtes indépendances entre 1918 et 1921.

Il est à rappeler que l’Arménie a été en quelque sortes le facteur déclenchant de la chute de l’URSS. Des revendications indépendantistes étaient nées en 1988 et s’étaient exprimées lors du défilé du 1er mai en présence de délégués du Parti Communiste de Lituanie et d’Estonie qui allaient plus tard s’en inspirer. Le séisme de décembre 88 qui avait frappé la ville de Spitak en Arménie avait rendu la cassure définitive et l’indépendance inéluctable.

Qui a raison dans cette guerre?

D’un point de vue humain, la guerre au Karabakh entre 1988 et 1992 a été une véritable catastrophe avec des pogroms d’arméniens en Azerbaïdjan et l’expulsion de milliers d’azéris du Karabakh. En allant sur la ligne de front on peut voir au loin les ruines de la ville d’Agdam, on devine au loin le minaret de la mosquée, la ville est en ruine, détruite par les arméniens et on passe devant sans la regarder. De l’autre côté de la frontière, on oubli vite les pogroms et les expulsions, c’est ça la guerre.

Si le coeur du Karabakh est incontestablement arménien, lors de la guerre, des régions azéries ont aussi été prises par les arméniens, dont le réservoir d’eau douce de Sarsang, capital pour l’irrigation en Azerbaïdjan. La guerre a aussi privée les azéris d’un territoire capital le corridor de Latchin qui reliait l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan.

 Qu’en est-il aujourd’hui?

Les combats entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan se sont intensifiés lundi dans et aux abords de la région séparatiste du Haut-Karabakh, cette deuxième journée d’affrontements ayant fait au moins 30 morts. /Photo diffusée le 28 septembre 2020/REUTERS/Le ministère de la Défense d’Azerbaïdjan

Il est indéniable que les forces Azéries sont dotées d’un meilleur équipement et bénéficient de modernisations pointues d’équipements russes par les israéliens et les turcs. L’armée azérie dispose de dizaine de drones d’attaque, d’une artillerie très performante et à long rayon d’action et de beaucoup plus de troupes.

L’Arménie dispose d’une armée sur le modèle de l’armée russe d’avant la guerre de Géorgie en 2008. En gros une armée soviétique construite autour de brigades blindées. L’armée arménienne dispose de deux avantages, le système de missiles S300, que j’ai pu voir déployé dans la ville frontalière Arménie/Artsakh de Goris et qui représente une menace pour l’aviation azérie et des missiles tactiques Iskander-E. Mais le véritable avantage de l’Arménie/Karabakh reste la géographie et la topologie véritable piège pour l’énnemi, en témoignent les carcasses de blindés et chars sur le bas côté de la route du Nord et qui datent du début des années 90.

Les Arméniens utilisent aussi un astucieux système de filins et de filets en acier entre les montagnes pour empêcher la pénétration à basse altitude des hélicoptères, les exposant aux systèmes de défense anti-aériens.

Pour avoir visité la ligne de front du côté arménien sur le front Nord à l’Est de Martakert et Madghis, ils sont loin d’êtres suffisant pour contenir une attaque massive de chars appuyée par de l’artillerie. L’utilisation des deux côtés de drones de combat, démontre l’inutilité des armures de seconde génération pour les chars et surtout l’inutilité des tranchées et nids à chars. Les drones Bayraktar TB2 ont détruit plusieurs chars arméniens pourtant bien protégés dans leurs nids avec des munitions très modestes.

Pour bien comprendre la bataille en cours et la guerre en préparation il faut considérer qu’il y a une zone de démarcation d’une profondeur de 5 à 10 km et une longueur de plus de 100 km qui sépare les deux belligérants. Cette zone est pasemée de tranchées et de tunnels, les routes y menant sont cernées par des murs de terre pour éviter les tirs. Cet ouvrage défensif désuet sert d’amortisseur pour une retraite du gros des troupes vers les montagnes.

Si l’attaque azérie réussie et s’il n’y a pas recul de leur part, ils seront capables en théorie de capturer la capitale Stépanakert et la ville de Martakert qui sont sur la plaine mais se retrouveront à la merci des troupes arméniennes qui les bombarderont à partir de Chouchi pour la capitale et des montagnes du Nord Est pour le reste de la plaine.

Il est très peu probable que l’Azerbaïdjan se lance dans une guerre totale au Karabagh à cause du risque de pertes lourdes. A mon humble avis l’attaque se portera sur les territoires azéries aux mains des Karabaçi et symboliquement les villages frontaliers.

 

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