Ceci est la seconde et dernière partie de l’étude de cas de certaines armées dans la lutte anti-drones et ses enseignements.
L’Arabie Saoudite
Le 14 septembre 2019 à 4 heures du matin les deux sites pétrolier d’Abqeiq et de Khureis, dans le Nord-Est de l’Arabie Saoudite, sont frappés. 19 drones et missiles de croisières s’abattent sur les installations pétrolières et font disparaitre 5% de production du marché mondial.
Le système de défense antimissile de l’Arabie saoudite n’a pas réussi à arrêter l’essaim de drones et de missiles de croisière qui ont frappé les infrastructures pétrolières. La défense aérienne saoudienne avait déployé au moins un MIM-104 Patriot pac II à Abqaiq, plus de nombreux autres systèmes similaires sur les 1000 km de désert que séparait la cible du lieu du départ de l’attaque. Ce système de défense antiaérien a été conçu pour traiter les missiles balistiques et les chasseurs volant à haute altitude ou à altitude moyenne. Un essaim de drones et de missiles de croisière venant de plusieurs directions peut perturber et brouiller le radar, ainsi que submerger les défenses aériennes. En plus du système Patriot, l’armée saoudienne avait déployé un système Skyguard de protection rapprochée, mais il n’a pas été capable de détecter et atténuer l’attaque de drones. Pire, troisième élément de défense anti-aérien déployé dans la zone, le Shahine, adaptation saoudienne du missile Crotale français, est là aussi hors-jeu.
Autre problème, le coût ! Selon Justin Bronk, chercheur au Royal United Services Institute de Londres « la courbe des coûts est très favorable à l’attaquant, ce qui signifie que l’Arabie Saoudite devrait dépenser bien plus que ses ennemis pour se protéger contre des capacités de frappe supplémentaires. Ainsi, il n’y a presque aucun moyen pour le Royaume de se défendre complètement contre de telles attaques.” Ce même chercheur estimait le coût de fabrication d’un drone yéménite à 25 000 Dollars US, le prix d’un missile Patriot Pac II est de 450 000 dollars ; celui d’un Pac III est de pratiquement trois millions de dollars. Même pour un pays riche et de surcroit plus grand importateur d’armes au monde cela reste un coût énorme à consentir, surtout que de l’aveu même de Turki al Maliki, porte-parole du ministère saoudien de la Défense, il y a eu 240 drones interceptés entre 2017 et 2019.
Au lieu de réfléchir à une vraie stratégie anti-drone, l’Arabie Saoudite continue de s’équiper avec le nec-plus-ultra de la défense anti-aérienne comme le THAAD, en perspective d’une guerre contre l’Iran et d’une attaque balistique. L’armée saoudienne, a un autre problème qui est celui de sa composante humaine, de sa compétence, de son degré de préparation et de son attention. Elle tente d’y palier en multipliant les exercices avec l’armée américaine, comme celui qui a eu lieu en juillet 2021 dans la base américaine d’al Udeid au Qatar.
Peu d’équipements de brouillage et de guerre électronique sont utilisés par les saoudiens pour la lutte anti-drones, un manque dont l’effet est visible sur le terrain.
Les Etats-Unis
L’attaque au drone suicide contre une base américaine en Irak le 3 janvier dernier est un parfait exemple de la doctrine de lutte anti-drones de l’armée américaine. Assez similaire à la doctrine russe, elle s’appuie sur le triangle, détection, atténuation/brouillage, destruction. Elle intègre aussi des armes au laser et à microondes. Lors de cette attaque, les deux drones ont été neutralisés en deux temps, par le système M-LIDS, monté sur MRAP Oshkosh, capable de tirer des missiles puis par le CWIS terrestre C-RAM doté d’une mitrailleuse rotative Gatling et d’un radar de poursuite et de tir.
Ce système modulaire et facile à déplacer est le fruit de l’expérience en opérations extérieures de l’armée américaine. Le C-RAM a par exemple été conçu pour traiter les tirs de roquettes d’obus et de mortiers pour protéger les grandes bases américaines en Afrique et au Moyen-Orient.
En février 2020, l’armée américaine créé le Joint Counter-small Unmanned Aircraft Systems Office, un bureau chargé de planifier la stratégie de lutte contre les drones de petite taille, les drones stratégiques étant l’apanage de la défense anti-aérienne. Ce bureau a eu pour mission de sélectionner et valider les équipements de défense anti-drones, y compris durant la transition et définir une stratégie dans le domaine.
Un peu comme leurs homologues russes, les soldats américains reçoivent tous une formation obligatoire de lutte anti-drones à fort Carson dans le Colorado. La première unité ayant subi cette formation a été la 4e division d’infanterie en avril 2021.
En plus des solutions missiles (Stinger) et balles proposées par le M-LIDS et le C-RAM, l’armée américaine compte sur un système de guerre électronique nommé MADIS qui a fait ses preuves en abattant un drone iranien en 2021 et qui se compose d’un bloc électro-optique et de trois pétales pouvant émettre des ondes sur un très large spectre de fréquences et brouiller le drone adverse. L’avantage de ce système étant de pouvoir être monté sur un buggy ou un 4×4 léger.
Al-Qaida et les autres organisations non-Etatiques
Al Qaida a été une des plus grandes cibles d’attaques par drones ces dernières années. Ce sont des centaines de bombardements qui ont été perpétrés contre cette organisation au Yémen, Pakistan, Syrie, Irak, Afghanistan, Libye et ailleurs dans le monde.
En 2013, cette organisation avait édité un manuel de lutte anti-drones avec les moyens du bord. Centré autour de 22 points ce manuel combine, sécurité opérationnelle, mesures actives et mesures passives et représente un modèle de compréhension du fonctionnement des drones d’attaques et une tentative d’atténuation de ses effets.
Sans les détailler comme moyens de protection al-Qaida préconisait d’essayer de pirater les drones avec le logiciel Skygrabber et même de couper leur liaison en bombardant le drone d’ondes avec l’équipement russe Racal qui était disponible sur le marché. Ils préconisaient aussi l’utilisation de bouts de miroirs et de bouts de verre et même d’équipements électriques simples allumés en permanence (fours à microondes, radios, pompes) pour générer du « bruit ».
D’autres mesures plus simples, comme d’éviter les regroupements à l’extérieur des bâtiments, s’abriter sous les arbres ou simplement utiliser des écrans de fumée.
Quelques années plus tard, les groupes terroristes au Sahel ont pris l’habitude de recouvrir leurs véhicules de toile de jute qui est fréquemment mouillée pour réduire son empreinte thermique ou simplement rouler le plus rapidement possible en terrains dégagés. Après 2018, la surutilisation de motos par les groupes terroristes l’a été pour rendre plus difficile la prise en chasse par les drones d’attaques et pour créer de la confusion.
Ces expériences prouvent que la lutte anti-drone est avant tout un état d’esprit et qu’il concernait l’ensemble des militaires et que c’était une guerre nécessitant une économie des moyens combinée à une concentration des efforts.
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