A Naberejny Tchelny, ville moyenne du Tatarstan, il n’y a pas de quartiers, les barres d’immeubles s’alignent à perte de vue et sont entrecoupé parfois par des centres commerciaux rutilants ou des jardins publics. Même la mosquée et la cathédrale sont comme écrasées par l’urbanisme soviétique d’immeubles dortoirs tracés au cordeau. Même la plage artificielle aménagée sur la Kama, confluent de la Volga qui borde la ville, peine à donner de l’allure à cette citée crée quasiment de toute pièce à la fin des années 60. Et pourtant , cette ville industrielle anonyme du coeur de la fédération de Russie que nous avons si mal décrit, est entourée d’une aura particulière et d’un dynamisme inégalé, la ville respire une marque et c’est visible dès l’atterrissage à l’aéroport de Nizhnekamsk, ici c’est le domaine privilégié et quasi exclusif de Kamaz, la célèbre marque russe de camions.
Et à l’image de la ville le constructeur vie une véritable mutation avec une soif de conquête des marchés mondiaux. Cette dynamique a eu pour effet de déborder sur l’industrie militaire et pas seulement dans la niche des camions de transport.
Nous allons le voir, cette démarche de renouveau rompt définitivement avec la mentalité soviétique et pourrait symboliser le changement profond que connait le complexe militaro-industriel Russe. A dieu plans et commandes d’Etat, place à l’innovation et à la productivité à géométrie variable selon les besoins du marché mondial et non de l’Armée Rouge.
“Nous étions un simple bureau à l’intérieur de la grande usines Kamaz, à peine un bureau d’étude avec quelques ingénieurs et des dessinateurs, lorsqu’on a eu la bonne idée de nous transformer en entreprise, court-circuitant ainsi la bureaucratie et les mauvais reflexes du passé” C’est ainsi que nous explique un cadre de l’entreprise, l’augmentation des attributions de la société Remdizel (RD) et la création de sa structure ZSA (Zavod Specianii Avtamobil pour usine de véhicules spéciaux), qui fut détachée du géant de la fabrication de camions russe Kamaz en 2013. C’est d’ailleurs cette démarche de mettre e avant l’engineering qui symbolise le renouveau de l’industrie de défense russe. Fini le temps des usines géantes d’armes, capables de produire des dizaines de milliers d’exemplaires d’équipements lourds, dépassés, mais fiables et efficaces. Aujourd’hui les entreprises comme Remdizel misent tout sur le bureau d’études et sur une capacité de production modulable et flexible, permettant à la fois de répondre aux commandes urgentes, à l’exportation et à l’évolution rapide des modèles produits.
Nous avons eu la chance de visiter les installations de Remdizel et de ZSA à Naberejny Tchelny et c’est cette adaptation au marché, y compris mondial, qui nous le plus surpris. D’abord ZSA, qui produit l’emblématique et totalement incongrue camion de transport blindé Typhoon K, qui a été mis en avant lors des parades du jour de la victoire à Moscou et dans la guerre en Syrie en transportant et protégeant la Police Militaire. Dans le hangar principal de l’usine ce qui impressionne c’est la simplicité des installations, on est très loin du concept du travail à la chaîne ou de l’industrie automobile où les robots sont rois, ici il y a une découpe laser fabriquée sur mesure en Russie pour ZSA, une presse hydraulique, des ateliers de soudures et de peinture. “Tout est dans la tête des concepteurs, la fabrication n’est pas le plus important dans l’industrie, mais la capacité à comprendre le marché et anticiper ses besoins” nous confirme un des cadres de la production. Dans le hangar sont aligné une vingtaine de véhicules déjà fabriqués, des Typhoon K, Vystrel et Typhoon VDV, Platforma et Tornado. Dans un coin gis une épave criblée d’impacts de balles et le châssis éventré, “C’est le véhicule qui a servi pour les tests, si la carrosserie impressionne sachez qu’aucun éclat ni balles n’ont pénétré dans l’habitat” Explique le chef concepteur. “Nous avons observé et étudié de près les normes de certifications STANAG de l’OTAN, elles sont sérieuses et élevées mais elles sont basées sur des simulations de charges explosives ou sur un seuil de tolérance de pénétration de projectiles. Chez nous, on ne simule pas, les explosifs, mines, obus de mortiers utilisés pour les tests sont ceux qu’on retrouve sur le champ de bataille et notre objectif est de concevoir des véhicule où aucune pénétration sont tolérées” renchérit-il.
Outre le Typhoon K, c’est toute une famille qui est produite dans cette usine, un travail très loin des standards de l’automobile, se rapprochant plus à celui des voitures de collection dans la mesure que toutes les pièces de l’habitacle sont découpées sur place puis placées à la main. Il n’y a pas de robots et ce sont des dizaines de techniciens qui assurent l’assemblage des véhicules. L’intérêt est énorme, car les équipes de productions sont extrêmement flexibles et peuvent passer du montage d’un type de véhicule à un autre sans changement sur la ligne et de manière très rapide et ainsi répondre aux commandes urgentes ou à la productions de kits de montage SKD ou CKD pour les marchés intéressés par la production locale.
Ce qui aide aussi c’est que 85% des pièces détachées sont communes à l’ensemble à la gamme des véhicules qui va du petit 4×4 aérolarguable au lanceur de missiles balistiques, en passant par le véhicule phare à six roues motrices le Typhoon-K. L’objectif aussi est d’offrir une solution hautement blindée et mobile aux différents systèmes d’artillerie antiaériens ou terrestres, ou aux systèmes de missiles russes et remplacer ainsi les camions simples qui étaient utilisés pour ces équipements. Ces véhicules nécessitaient un déploiement de forces pour les protéger ce qui n’est plus nécessaire au vu de leurs blindages. En fait c’est une réponse à la mue de l’armée rouge vers une armée plus économe en hommes et en matériel qui en plus de ses capacités de projection et de manœuvres rapide devra soutenir des sièges et opérations fixes et assurer un train logistique vers le champ de bataille. Le transport de munitions et de carburant seront grâce à la gamme RD, mieux protégé et plus efficace surtout dans les conflits de basse intensité.
C’est justement lors du conflit Syrien que le Typhoon K a fait ses preuves au combat. Déployant un certain nombre d’unités pour protéger les forces de la Police Militaire, le Typhoon K a été confronté aux aléas de la guerre civile, évoluant dans un terrain miné et dans un environnement très hostile.
En off, les concepteurs avouent avoir beaucoup appris de ce conflit et avoir découvert à quel point, une fois confronté à la réalité et à une combinaison de stress des équipages et de conditions climatiques infernales, les pièces d’usures réagissaient mal. Les équipes de RD déployées sur places ont pu, heureusement s’adapter à la situation et revoir les protocoles de maintenance. Il en résultera une amélioration sur les lignes de production des véhicules. En Syrie, le Typhoon K ne subira aucune panne majeure, immobilisation ou perte et a prouvé ses capacités au combat.
Concernant les perspectives d’exportation, de nombreuses armées auraient montré un intérêt pour l’acquisition de certains modèles, surtout après le salon Army 2017 et l’IDEX aux Emirats Arabes Unis suscitant beaucoup d’intérêts. certain nombre de kits pour un montage SKD sur son territoire. L’Algérie, bien que n’ayant pas engagée de négociations officielles serait aussi intéressée par le véhicule, surtout qu’une usine de montage de kits de camions Kamaz devrait être lancée dans ce pays à l’horizon 2018-2019.
Il reste que Remdizel n’est pas que le fabriquant de véhicules blindés. L’immense complexe abrite trois autres ateliers tout aussi impressionnants. D’abord celui de la rénovation des véhicules blindés chenillés sur base de MT-LB, qui étaient fabriqué en Ukraine par Kharkiv Tractor Plant et qui ne pouvaient être maintenus à cause de la guerre et à la disparition de certains sous traitants à la chute de l’URSS. Plus de 200 véhicules de cette gamme qui comprend les transporteurs de troupes, MT-LB, les canons automoteurs 2S1 Gvozdika, les véhicules de déminage UR77, de lutte anti-aérienne Strela 10, ou l’engin de pompier MLB GP10m.
Les véhicules sont non seulement remis à neuf, mais totalement russisés avec de nouveaux moteurs et de nouveaux équipements de bords plus performants. RD a même crée un dérivé léger du MTLB le MLB Sh.
Une autre spécialité de RD est la restauration des camions Kamaz qui, sorti d’atelier, retrouvent une durée de vie de 80 à 90% d’un véhicule neuf. La restauration totale du camion prend généralement six jours et mobilise trois ingénieurs. Selon nos informations la restauration est facturée l’équivalent de 15 euro l’heure de travail, ce qui rend l’opération très économique.
Idem pour le dernier atelier qui se charge de restaurer et reconstruire les vieux moteurs de camions et peut faire sortir plusieurs milliers de moteurs chaque année.
Outre ces activités, l’existence de personnel qualifié et de lignes de montage déjà prêtes fait que RD a la capacité ponctuelle d’intervenir pour la fabrications ou le montage de véhicules spécifiques. Elle dispose par exemple d’une chaine de montage de camions en kit de Kamaz, très similaire aux formules de montages proposés à l’exportation. Elle s’est en outre charge du montage des kits de véhicules Iveco LMV (RYS dans leur version russe), dont les derniers exemplaires sortaient encore des lignes de production lors de notre visite.
Quel avenir pour RD? alors qu’elle a toujours été un acteur marginal dans le OPK (complexe militaro-industriel) russe, Rmdizel a par sa capacité d’innovation et la flexibilité de ses équipes de production s’est récemment érigée en acteur majeur du CMI russe, il est donc prévisible de voir cette société continuer dans le domaine des véhicules blindés et se lancer dans l’exportation vers les marchés naturels de la Russie que sont l’Asie du Sud, l’Afrique.
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