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La « guerre » de Libye et ses conséquences sur le Maghreb en sept questions

Comment qualifier le conflit en Libye ?

Ce qui semble avoir été découvert par la presse grand public et par les populations des pays avoisinant (Tunisie, Algérie..) n’est en fait pas une guerre mais un des derniers actes d’une offensive lancée par le Maréchal Khalifa Haftar le 13 janvier 2019 et qui est entrée dans sa seconde phase le 3 avril 2019. Ce n’est donc pas une guerre civile qui est apparue subitement à la fin de l’année.

Pour rappel le 13 janvier dernier, un détachement de l’Armée Nationale Libyenne (LNA), accompagné de deux brigades de milices Madkhali de Benghazi se sont dirigé vers l’oasis de Sebha dans le Sud de la Libye. Cette ville stratégique était contrôlée par des miliciens de l’ethnie Tebu (ou Toubou). A l’Est le territoire était infesté de miliciens Soudanais venus du Darfur et du Korodofan, que certain ont la facilité d’appeler Djendjawid. A l’Ouest de Sebha se trouve le vaste territoire contrôlé par les Touaregs.  Dans la même région (Awbari-Murzuk) se trouvent les deux plus importants champs pétroliers du Sud Ouest libyen, Al Fil et surtout Sharara, exploités par des multinationales pour le compte de l’entreprise libyennes NOC, qui dépend du gouvernement de Tripoli.

Voilà pour la géographie, Sebha tombe assez rapidement  vers la fin janvier. Les Emirats Arabes Unis ont largement armé la colonne qui a fait cette rapide conquête. Les Tebu qui ont fui vers le Tibesti et le Tchad ont subi une offensive de l’armée tchadienne et des bombardements de l’armée de l’air française, une manière d’éliminer complètement le problème devant Haftar.

Avant le 13 janvier, la LNA contrôlait moins de 50% du territoire, le gouvernement de Tripoli environs 30% et le reste n’était pas administré. Une bonne moitié des installations pétrolières étaient sous le contrôle du GNA avec ses infrastructures de transport.  En avril 2019, la LNA contrôlait environs 80% du territoire et quasiment l’ensemble des installations pétrolières en Libye, le GNA se contentait du coin Nord-Ouest du pays. Mais en réalité la majorité du territoire désertique libyen n’est pas contrôlé, les forces se contentent de tenir les villes et les routes uniquement.

Le 3 avril au matin, à peine douze heures après que le président Bouteflika est déposé en Algérie, le Maréchal Haftar annonce une nouvelle offensive vers Tripoli. Ni ses partenaires ni ses adversaires ne s’attendaient à ce qu’il le fasse, au contraire, la conquête du Fezzan était assez bien vécue par le GNA à Tripoli, surtout après l’accord d’Abu Dhabi du 28 février et la promesse de toutes les parties de tenir des élections  pour l’été 2019 et assurer la stabilité du pays. La longue marche de la LNA était vu par tous (GNA, Algérie, Italie, ONU…) comme une opération de stabilisation du Sud visant à trouver un accord avec les Touaregs et à chasser les milices jugées comme non libyennes (Tébu, Soudanais, Daech…), la décision de Haftar a pris tout le monde de cours.

Il s’en suivra une avancée inexorable sur Tripoli avec une prise de son aéroport.  Fin 2019, le GNA ne contrôlait plus qu’environs 10% du pays.

Aujourd’hui les combats et la guerre ne concernent que sur un front de 25 Km au entre Tripoli et l’aéroport de la capitale. L’ensemble de la guerre se concentre sur une bande faisant 25 km de large et 5 Km de profondeur. Le reste du pays vaque à ses occupations et l’atmosphère qui y règne tend vers la démobilisation plus qu’autre chose, y compris à Misrata, pourtant dernier bastion de résistance contre Haftar, il n’y a pas eu d’ouverture de front.

Nous sommes donc loin de l’idée d’une guerre généralisée ou d’un pays coupé en deux avec une ligne de front le traversant de part en part, comme le laissent entendre les médias. Cela démontre aussi qu’un afflux de forces d’un côté ou d’un autre, le moindre ajout d’équipements stratégiques comme l’aviation, les radars, les tanks … peut influer sur le cours de la guerre.

Libye Libye

Qui sont les acteurs impliqués dans le conflit libyen ?

Les deux camps sont soutenu par  de nombreux pays et entités et utilisent sur le terrain des forces non libyennes pour combattre. Du côté de Haftar, les Emirats Arabes Unis et l’Egypte sont les principaux pourvoyeurs en armes, ils ont par le passé utilisé des mercenaires soudanais pour combattre et même des mercenaires occidentaux et russes (Wagner, RSB Group). Les Emiratis ont même construit une base aérienne à Al Khadim, près de Benghazi en 2016.

Le camp du GNA a par le passé recruté des pilotes mercenaires de différentes nationalités, essentiellement d’Amérique du Sud et même des USA et là c’est l’appui de miliciens syriens qui commence à se faire sentir en attendant un hypothétique débarquement turque.

Que change la promesse d’intervention turque ?

Pour le moment il n’y a pas d’intervention militaire turque, il y a une assistance militaire depuis plusieurs mois, voire depuis plusieurs années, la Turquie a fourni des conseillers, des pilotes de drones et a vendu des armes au GNA, en violation avec la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU promulguant un embargo sur la vente d’armes  à la Libye. Un embargo qui date de 2011 et qui est violé par d’autres pays comme l’Egypte, les Emirats, la Russie ou même la Jordanie pour le compte de l’armée de Haftar.

Le 25 décembre 2019, en pleine trêve des confiseurs, le Président turque Reçep Teyyip Erdogan annonce qu’il proposera au parlement de son pays un envoi de troupes en Libye en prétextant un accord de défense mutuel signé il y a plusieurs semaines avec le gouvernement reconnu par la communauté internationale et dirigée par Faïz Al Sarraj à Tripoli.

Le 2 janvier 2020 le parlement turc a avalisé l’envoi de militaires turcs en Libye, mais il n’y a eu ni préparation à l’envoi de troupes ni signes qu’un pont aérien est mis en place pour acheminer de vraies troupes. D’ici là, le front peut bouger en défaveur du GNA qui pourrait perdre son dernier aéroport, celui de Misrata.

Entre temps, il semble de plus en plus certain qu’Erdogan est en train d’injecter des centaines, peut être jusqu’à deux mille, combattants Turkmen ou appartenant à des milices rebelles syriennes, sans aucune garantie qu’ils ne fassent pas, ou n’aient pas fait partie de groupes proches de l’Etat Islamique ou d’Al Qaida.

Plusieurs vidéos et images géolocalisées et authentifiées, montrent  des syriens en armes à Tripoli ou à Misrata. Une demi-douzaine de vols entre la Turquie et Misrata ont été enregistré lors de la dernière semaine de décembre 2019.

Ils ne représentent pas une véritable menace pour la région mais pourraient stabiliser le front à Tripoli.

Il semble que la Tunisie refuse de se mettre à disposition de la Turquie malgré le voyage d’Erdogan, le 25 décembre dernier, à Tunis et la grande coopération qui existe entre les deux pays.

En effet le ministère tunisien de la défense est réellement dépendant de la coopération avec la Turquie. Ankara a accordé une ligne de crédit d’armement turc d’un montant de 200 millions de dollars, qui fait la joie des tunisiens et des industriels turcs.

En l’absence d’une base aérienne à l’abri en Tunisie, l’aviation turque ne pourra pas opérer en Libye sauf en déclarant la guerre à la Grèce et à l’Egypte. Elle ne pourra donc pas assurer de couverture aérienne aux troupes au sol et devra probablement se contenter de miliciens syriens et de forces spéciales, ce qui peut tout de même faire la différence sur le terrain.

La guerre civile libyenne a été une guerre d’un nouveau type, c’est la première guerre par proxy, qui n’utilise pas uniquement la population autochtone mais des milices venant de pays proches ou lointains.

Quelles conséquences sur l’Algérie et la Tunisie ?

Encore une fois, l’étendue des combats est telle que les risques de contagion ou d’embrasement généralisé dans la région est très peu probable. D’abord, le GNA n’a plus aucun contrôle sur la frontière avec l’Algérie et se contente d’une présence symbolique non contestée sur le poste frontalier avec la Tunisie de Ben Gardane à l’extrême Nord-Ouest de la Libye. Ensuite la stratégie de la LNA semble être d’encercler la capitale pour pousser à une capitulation du Gouvernement d’Al Sarraj, pour preuve, il n’y a pas d’attaques contre Al Zawiyah ou Misrata. Enfin, on constate que les attaques de la LNA sont ciblées et ont pour but de ramollir les défenses du GNA en détruisant le maximum de drones et de blindés.

Cela ne représente pas une menace militaire pour l’Algérie, qui est trop éloignée de la zone de combat. Ce n’est pas pareil pour la Tunisie qui pourrait éventuellement connaitre un afflux de réfugiés ou du trafic d’armes.

Le risque pour la Tunisie est surtout de se retrouver en guerre froide avec les Emirats Arabes Unies ou à subir des pressions ou restrictions de la Turquie, c’est pourquoi le Président tunisien Kaïs Saïed se retrouve dans une situation très délicate diplomatiquement et économiquement.

Pour en revenir à l’Algérie qui déploie à sa frontière Sud-Est une force supérieur à l’armée de Kadhafi, coopère avec les forces de la LNA depuis presque une année depuis qu’elles sont parvenu aux limites algériennes.

Qu’aurait pu faire l’Algérie?

Aujourd’hui l’Algérie qui se présente comme puissance régionale, qui est incontestablement le premier budget militaire d’Afrique et peut-être aussi la première armée d’Afrique avec l’Egypte, se retrouve pieds et poings liés militairement face aux évènements qui se profilent: intervention turque, intervention égyptienne, bases occidentales, émiraties ou autres à ses frontières, trafic d’armes, infiltration hypothétique de terroristes…. la liste des menaces est longue. Il y a surtout les problèmatiques liés au prestige, à l’honneur et à la consommation intérieure de slogans et de propagande politique.

La première raison pour laquelle l’Algérie s’est contentée de jouer un rôle diplomatique, gauche, mais intense, est liée à la personne de l’ancien Président Abdelaziz Bouteflika, commandant suprême de l’armée, seul habilité à déclarer la guerre et qui avait fait le choix diplomatique des Frères Musulmans en utilisant le tunisien Rached Ghannouchi comme émissaire et négociateur, un choix qui a été fait sans concertation avec le peuple algérien ni même avec les diplomates du ministère des AE.

Avant celà, il avait choisi la pire chose à faire, soutenir discrètement Muammar Kadhafi mais sans que ce ne soit décisif pour lui. En réalité, l’Algérie aurait pû en 2011, devancer l’OTAN et assurer elle même l’interposition et le respect d’une No Fly Zone en Libye et offrir une solution de sortie raisonnable de la crise politique qui s’est transformée en guerre civile.

Après l’accident cérébral de Bouteflika en 2013 et devant l’impossibilité de le remplacer, les autorités algériennes ont recourru au subterfuge du non interventionnisme consacré par la constitution pour justifier l’immobilisme général.

L’AVC du Président, commandant en chef de l’armée, voulait dire la mort cérébrale du reste des institutions et au final uen quasi décennie de perdue.

La dernière chance pour l’armée algérienne d’intervenir et de peser de tout son poid l’a été avant le 12 janvier 2019. A cette époque l’armée algérienne aurait pu s’interposer entre la LNA et la GNA et figer les frontières de la Libye historique (Tripolitaine, Cyrénaique, Fézzan) en attendant des solutions diplomatiques.

L’autre stratégie qu’aurait pu entreprendre l’Algérie, aurait été celle du mimétisme et faire exactement ce qu’ont fait les Emirats, l’Arabie Saoudite et l’Egypte, créer un Hadtar bis et lui donner les moyens de sa politique. C’est ce que la Turquie essaye de faire trop tard et ce que l’Algérie aurait pu faire bien avant.

Quelles solutions pour l’Algérie aujourd’hui? 

La situation dans laquelle se trouve l’Algérie aujourd’hui n’est pas catastrophique, les risques sont minimes et ils sont liés à l’image plus qu’autre chose. La solution militaire équivaudrait à envahir la Libye ou d’envahir Tripoli et faire partie de coalitions, pour le moment l’ANP fait un énorme travail de sécurisation des frontières et gère les renations avec la LNA tout en offrant le maximum de couverture aux Touaregs libyens pour qu’ils ne soient pas persécutés, c’est déja beaucoup.

Reste à travailler pour une solution négociée avec les deux parties et revenir aux résultats de la conférence d’Abu Dhabi 2 avec un partage du pouvoir et des élections, dans le cas où l’intervention turque stabilise le front et qu’il n’y a pas de guerre à grande échelle implicant la Turquie et l’Egypte.

Quelle fin pour ce conflit ?

Les forces de Haftar semblent avoir du mal à prendre Tripoli, la raison pourrait-être le manque de support de l’étranger et le sentiment de démobilisation au sein des troupes. De leur côté les forces du GNA ont perdu beaucoup d’équipements, dont la plupart de leurs drones d’attaques turcs Bayraktar TB2 et de nombreux blindés, ils subissent les contrecoups du blocus.

L’arrivée des combattants syriens pourrait donner un second souffle aux combats, en attendant une solution politique négociée et la conférence de Berlin ce mois de janvier.

Il faudra aussi attendre de voir la taille du déploiement de l’armée turque et de savoir si elle ne provoquera pas l’entrée en lice de l’Egypte et une guerre généralisée.

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