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Le Mali et son drone perdu : une enquête bancale, une crise amplifiée

L’incident du drone Akinçi de l’armée malienne abattu par la défense aérienne algérienne le 1er avril dernier n’en finit pas de rebondir après la décision brutale des pays de l’AES de rappeler leurs ambassadeurs et a donné lieu à une argumentation technique plus que bancale de la part des représentants de la junte de Bamako, des arguments que nous allons décortiquer dans cet article.

Le communiqué n°073 des autorités maliennes, qui président l’Alliance des États du Sahel (AES), portant sur le rappel des ambassadeurs des États membres pour consultation et sur la dénonciation de l’interception d’un drone malien par l’ANP, est une véritable pépite. Dans sa version longue, lue par le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, le général Daoud Aly Mohameddine, au journal télévisé de l’ORTM le 6 avril, l’officier supérieur déclame un réquisitoire à charge contre ce qu’il appelle le « régime algérien ».
Les circonstances du crash : une enquête plus que limitée
Il commence par confirmer l’écrasement du drone de l’armée malienne dans une zone située au sud de la bourgade frontalière malienne de Tinzawaten, en fournissant les coordonnées du crash. Selon lui, une enquête a été diligentée pour déterminer les circonstances de l’incident. Ce qui n’est pas dit, c’est que les autorités maliennes n’ont pas accès au lieu du crash et que, pour réaliser leur enquête, elles se sont appuyées sur deux éléments : des images aériennes prises par un autre appareil de même nature le lendemain de l’incident et des données de la station au sol qui gère à distance le vol de l’avion sans pilote. Ces données sont envoyées par l’appareil à la station via des communications radio chiffrées ; en cas de perte de ces données, il n’y a tout simplement plus d’informations. En revanche, l’accès à l’épave aurait permis d’obtenir des données réelles et complètes du vol, y compris si l’appareil n’est plus en mesure d’émettre ou de répondre aux instructions.

L’épave examinée par les combattants du FLA

C’est important, car en accidentologie aérienne, l’accès au site du crash et aux données des équipements de bord constitue le seul moyen de tirer des conclusions fiables sur les causes de l’accident. L’enquête des autorités maliennes est donc incomplète et ne devrait pas servir de base à une mesure politique précipitée d’une telle brutalité diplomatique. Un parfait contre-exemple, le crash du vol MH17 de Malaysia Airlines le 17 juillet 2014 dans la région du Donbass en Ukraine, reste contesté à ce jour, malgré la récupération de l’épave, des enregistreurs de vol, la disponibilité des données radar et l’existence de communications radio.

La mémoire du drone abattu aux mains du FLA

Une analyse technique plus que contestable
Mieux encore, le général Mohameddine confirme que la liaison avec le drone a été rompue non loin du lieu du crash. « La distance entre le point de rupture de liaison avec l’appareil et le lieu de localisation de l’épave est de 441 mètres ; ces deux points sont tous situés sur le territoire national malien. L’aéronef est tombé à la verticale, ce qui ne peut probablement s’expliquer que par une action hostile causée par des tirs de missile sol-air ou air-air », affirme-t-il. En déclarant cela, le général commet plusieurs erreurs et prend des raccourcis. D’abord, en l’absence d’accès à l’épave et aux données des enregistreurs de vol, les autorités maliennes ne peuvent pas déterminer ce qui s’est passé entre la rupture des liaisons radio et le crash, ni combien de temps cela a pris. Le drone aurait pu voler de manière autonome pendant des heures après la perte du signal ou s’écraser quelques secondes plus tard. Sans la donnée temporelle, celle de la distance n’a aucun sens et n’apporte aucune preuve scientifique.
Des hypothèses fragiles et des contre-exemples
En affirmant que l’aéronef est tombé à la verticale, le général commet un pléonasme, car les avions ne s’écrasent jamais à l’horizontale. Passons sur ce point : l’intention était peut-être de prouver que l’appareil s’était abîmé en territoire malien après avoir été touché dans l’espace aérien malien. D’ailleurs, dans le communiqué, les autorités de transition maliennes concluent : « L’appareil n’a jamais quitté l’espace aérien de la République du Mali ; de surcroît, le point de rupture de liaison du drone et le point de localisation de l’épave, tous deux situés sur le territoire national malien, prouvent l’absurdité de l’argument d’une violation de l’espace aérien algérien sur 2 km. Autrement dit, comment l’épave du drone se serait-elle retrouvée au Mali, à 9,5 km de la ligne frontalière, si l’appareil avait réellement violé l’espace algérien sur 2 km ? »
Pourtant, de nombreux exemples similaires existent. Les deux plus récents ont eu lieu en Syrie. Le 22 juin 2012, un avion de reconnaissance turc F-4E avait été abattu dans les limites de l’espace aérien syrien par la défense antiaérienne de l’armée arabe syrienne ; il a été retrouvé dans les eaux internationales, à des kilomètres du lieu de l’interception, au large de Chypre. Trois ans plus tard, en novembre 2015, un Sukhoï-24 des forces aériennes russes avait pénétré l’espace aérien turc sur une distance de 2,19 km (assez similaire au cas malien) et a été abattu par un F-16 turc. L’appareil, qui volait pourtant à une altitude relativement basse (6 000 m) par rapport à celle d’un drone Akinci (9 000 m), s’est écrasé dans la région de Jabal Turkmen, près de Lattaquié, soit à 17 km de la frontière turque.

Su-24 abattu par la Turquie en Syrie

La complexité des crashs aériens
Oui, les avions tombent à la verticale sous l’effet de la gravité, mais rarement de manière parfaitement perpendiculaire en raison de l’aérodynamisme, du moment d’inertie et parfois de la continuité de fonctionnement de certaines parties de l’appareil (moteurs, voilure, etc.). C’est précisément à cela que servent les enquêtes, et c’est pourquoi l’accès physique à l’épave est indispensable.
Pire encore, le communiqué affirme qu’il n’y a que deux possibilités pour expliquer l’abattage du drone : un missile sol-air ou air-air. C’est faux. Le brouillage pourrait également causer la perte de contrôle du drone et son écrasement. De plus, selon l’altitude à laquelle il volait (si elle était inférieure à 3 000 m), il aurait aussi pu être abattu par des tirs de canons antiaériens.
L’utilisation quasi criminelle des drones par les maliens
Sur un plan moins technique que diplomatique, les autorités maliennes reprochent à l’Algérie de n’avoir pas fourni de données prouvant la violation de son espace aérien. L’Algérie se retrouve ainsi dans le rôle de l’accusée alors qu’elle est victime des agissements de l’armée malienne, qui mène une campagne de terreur par des frappes de drones depuis trois ans. Cette campagne a ciblé à la fois des groupes terroristes, des groupes armés légitimes signataires des accords d’Alger et, le plus souvent, des civils de différentes nationalités présents dans la région. Le 16 mars 2025, deux camions appartenant à des commerçants algériens ont été détruits par une frappe de drone dans le nord du Mali.
Il faut bien comprendre une chose : les autorités maliennes utilisent les drones essentiellement pour des frappes d’opportunité. Elles font décoller des appareils qui patrouillent et tirent des missiles sur ce qu’elles considèrent comme des groupes d’individus ou des véhicules suspects. La vérification intervient après coup, et très souvent, il s’agit de familles, de commerçants ou d’orpailleurs.
L’aveu est fait dans le communiqué incriminant l’Algérie : « Les dernières informations transmises par le drone étaient relatives à une rencontre de terroristes de haut profil qui planifiaient des actions », affirme le général malien. En d’autres termes, le drone n’avait pas décollé suite à des renseignements précis provenant du terrain indiquant la présence d’un groupe ou ses intentions, mais patrouillait au hasard et aurait détecté une activité suspecte. Prétendre qu’un avion sans pilote peut connaître les motivations des personnes qu’il filme à plusieurs milliers de mètres d’altitude relève de la science-fiction.
De manière plus générale depuis le coup d’État de 2020, la junte malienne a recentré sa stratégie sur la reconquête des territoires perdus, notamment dans les régions de Kidal, Gao et Tombouctou. L’arrivée des drones turcs fin 2022 a marqué un tournant, offrant à l’armée une capacité de frappe accrue. Cepandant, la faiblesse de l’armée et du renseignement malien sur le terrain a conduit à de très nombreuses bavures dont les principales ont été :
L’incident de Ménaka: Peu après l’acquisition des drones Bayraktar TB2, des frappes ont été signalées dans la région de Ménaka fin décembre 2022. Selon la presse et les témoignages locaux, une attaque visant des présumés jihadistes a touché une zone habitée, tuant au moins cinq civils, dont deux femmes. Cet incident, bien que moins documenté, a été l’un des premiers à illustrer les risques d’erreurs de ciblage avec cette nouvelle technologie.
Le 7 novembre 2023, des drones maliens ont bombardé les environs de Kidal, récemment libérée de la présence de la MINUSMA (mission de l’ONU). Selon la presse et les déclarations de responsables touaregs, 12 à 14 civils, dont huit enfants, ont été tués. Les frappes ont visé les abords de camps militaires et un rassemblement de notables, causant des pertes civiles dans une zone densément peuplée. Cet événement a mis en lumière les dangers d’opérations aériennes dans des contextes urbains.
Dans la nuit du 17 mars 2024, deux frappes de drones ont frappé le village d’Amasrakad, dans la région de Gao. Selon un rapport d’Amnesty International, 13 civils, dont sept enfants âgés de 2 à 17 ans, ont été tués. La première explosion a détruit un pick-up, tandis que la seconde a touché un abri où des habitants s’étaient réfugiés, faisant neuf morts immédiats. Un survivant a décrit une scène apocalyptique : “Le bruit était assourdissant, suivi de cris. Nous avons essayé de sauver ma grand-mère, mais il était trop tard.” Cet incident a renforcé les critiques sur l’usage indiscriminé des drones.
Le 25 août 2024, après une lourde défaite de l’armée malienne et de ses alliés russes face à une coalition de rebelles et jihadistes en juillet, des drones ont ciblé Tinzaouatène, dans le nord. Selon la presse et les témoignages, entre 15 et 20 civils, dont jusqu’à 10 enfants, ont été tués. Les frappes auraient visé des zones habitées, perçues comme des représailles à l’échec militaire. Des récits locaux ont évoqué des scènes de destruction massive, accentuant l’indignation internationale.
Dans la nuit du 1er au 2 avril 2025, des drones maliens ont bombardé Inatiyara, près de Tinzaouatène, tuant au moins sept civils nigériens, principalement des orpailleurs, selon la presse et des mises à jour ultérieures. Des Tchadiens ont également été blessés, dont l’un est décédé par la suite. Cet incident, survenu dans une zone frontalière, a suscité des tensions régionales et des appels à une enquête indépendante.
Accusations politiques et contradictions
Sur le plan politique, le communiqué accuse, sans fournir de preuves, l’Algérie d’être un exportateur de terrorisme, alors que ce pays a affronté une décennie sanglante de lutte contre ce phénomène et en a subi les conséquences économiques, notamment après l’attaque de Tiguentourine. Cette accusation est immédiatement contredite par la décision du Mali de quitter le CEMOC, un organe de coordination régionale pour la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, le Mali avait déjà boycotté une réunion ordinaire du CEMOC à Tamanrasset, en Algérie, où Alger proposait au Burkina Faso de rejoindre le comité en tant que pays observateur, signe d’une volonté préalable de Bamako de tourner le dos aux initiatives algériennes de coordination régionale dans la lutte contre le terrorisme.
Une gesticulation médiatique révélatrice
En définitive, l’attitude des autorités maliennes, incapables de mener une enquête approfondie ni même d’accéder au lieu du crash, semble relever de la gesticulation médiatique. Cette posture vise à renforcer la légitimité des régimes des pays de l’AES auprès de leurs populations et à masquer la déroute militaire de leurs armées face au terrorisme et aux rébellions, ainsi que le fait que de vastes portions de leurs territoires échappent au contrôle des autorités centrales de ces trois pays.

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