Comment trois hommes, armés de fusils d’assaut, habillés en «tenues tactiques», ont-ils pu traverser une capitale européenne, en alerte depuis plus de dix ans, ayant un dispositif sécuritaire spécifique et permanent, à savoir Vigipirate, attaquer un bâtiment gardé par la police depuis plusieurs mois, commettre un véritable massacre, ressortir, s’accrocher avec les forces de sécurité et prendre le dessus, puis retraverser Paris et disparaître dans la nature ?
Analysons la situation point par point au regard des minces données disponibles. Les suspects d’abord : au moins deux d’entre eux sont connus des services de police, l’aîné des frères Kouach a même été condamné en 2006 dans l’affaire dite des «réseaux djihadistes d’Ile-de-France» au même titre qu’un certain Boubakeur Al Hakim, cadre de l’organisation de l’Etat islamique, qui est apparu récemment dans une vidéo pour déclarer la guerre à la Tunisie dont il est originaire.
A noter que Boubakeur Al Hakim est le principal suspect dans les assassinats politiques de deux figures tunisiennes, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, en 2013. Donc, au moins un des trois suspects a suivi un entraînement militaire pendant les années 2000 en Syrie. Il est aussi probablement en relation avec une cellule mobile de Daech ayant commis des actes sanglants à la fois en Tunisie et en Syrie (la vidéo d’Al Hakim a été prise à Raqqah), il a peut-être même été en Syrie ces derniers temps.
La photo du pare-brise du véhicule de police montre le niveau d’entraînement au tir des deux assaillants. Neuf impacts de balle très bien groupés visant la masse centrale du passager et trois autres, serrés, au-dessus du volant prenant pour cible le conducteur. Sur les seize balles tirées, seule une n’était pas alignée et s’est encastrée dans le haut du capot du véhicule, les quinze autres auraient pu faire mouche.
Ce niveau de précision de tir ne peut être acquis qu’après des heures d’entraînement en stand de tir, déjà pour maîtriser une arme assez imprécise, comme l’AK-47, mais ensuite en conditions réelles, vu le niveau de stress et d’excitation des assaillants. Il apparaît que les trois djihadistes aient pu avoir affaire à des policiers armés à deux reprises, d’abord dans les bureaux mêmes de Charlie Hebdo et ensuite à l’extérieur du bâtiment. Première question donc : comment se fait-il que des individus, non militaires de surcroît, ayant un tel degré d’entraînement, ayant un passé de criminel, aient pu organiser une opération commando en plein jour à Paris ?
Paris, justement, qui est sous Vigipirate depuis 2003 et dont la totalité des lieux de regroupements et des points sensibles sont surveillés par des patrouilles militaires pédestres. Paris, qui dispose d’un réseau de vidéosurveillance performant et d’une présence policière dans les rues a été une véritable passoire, laissant, en milieu de journée, un groupe paramilitaire attaquer un immeuble surveillé.
Pis encore, Charb, le directeur de publication de Charlie Hebdo, a un garde du corps, Franck Brinsolaro, ancien chargé de la protection de plusieurs juges antiterroristes dont Marc Trevidic, faisait partie du service de protection des hautes personnalités de la police française, il sera un des premiers à tomber. Une explication peut-être : Vigipirate est un dispositif d’apparat, uniquement déployé pour donner l’impression de présence sécuritaire dans les lieux publics. Ce ne serait ni un dispositif de quadrillage supportant le travail de renseignement et encore moins un dispositif de réaction.
En 2013, plusieurs auditeurs, anciens militaires ayant participé aux patrouilles Vigipirate, avaient dénoncé, lors d’une émission de radio de Jean-Jacques Bourdin, l’obsolescence de ces patrouilles en affirmant que les armes étaient toutes déchargées, les munitions et les chargeurs protégés par du plastique dur, très compliqués à utiliser. «Nous sommes des pots de fleurs, ou des abribus», racontait un auditeur. «On va se faire voler des FAMAS, on va se faire taper dessus et on n’a pas le droit de dire quoi que ce soit», appuyait un autre. Ajouter à cela le manque de moyens et d’effectifs et un véritable débordement par le nombre de djihadistes partis faire le «coup de feu» au Moyen-Orient, et c’est toute la faillite du système de sécurité français qui est mis à nu.
Car il ne s’agit pas d’une bombe artisanale fabriquée à partir de pièces de quincaillerie, mais d’une opération commando de haut niveau ayant nécessité entraînement et équipement, donc de temps et de logistique : trouver trois kalachnikovs, s’assurer qu’elles sont en bon état de fonctionnement est une gageure dans un pays très strict sur le commerce des armes.
Pour le moment, les autorités et les médias français éludent la question de leur efficacité, alors qu’ils avaient été les premiers à descendre en flamme l’Algérie, qui est arrivée à endiguer le terrorisme urbain depuis sept ans, avec l’affaire Gourdel.
In EL WATAN
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