Les dernières saisies d’armement dévoilées par le ministère de la Défense montrent que le trafic laisse passer des armes de plus en plus lourdes et en quantités de plus en plus importantes. Elle sont le signe d’une nouvelle stratégie des groupes terroristes pour s’installer dans la région.
Les faits sont inédits, depuis le début du terrorisme et l’acheminement des premières cargaisons d’armes en 1992, jamais autant d’armes de gros calibre n’ont été saisies en Algérie qu’entre février et aujourd’hui. Même lors de l’attaque terroriste contre la caserne de Boughezoul en mars 1993, quand les djihadistes avaient pu mettre la main sur une importante quantité d’armes après avoir tué 41 militaires, la quantité d’armes, dont le calibre dépasse les 7,65x54mm, n’a jamais été significative.
Hormis l’apparition d’un canon antiaérien DShK en 2008 aux mains d’un groupe lié à Aqmi lors d’une attaque contre une patrouille des Douanes dans le désert et consécutivement à la création du groupe Djound Al Khilafa en septembre 2014 dans le massif d’Aït Ouabane, les canons antiaériens étaient complètement absents de l’arsenal terroriste. Depuis début février et l’affaire des «faux Stingers», pas moins de 11 canons antiaériens entre DShK de 12,7mm et KPV de 14,5mm ont été saisis, principalement, dans la wilaya d’El Oued et dans l’extrême Sud, dans les wilayas d’Adrar et Tamanrasset.
Pis encore, ce sont une soixantaine de kalachnikovs, 17 mitrailleuses FMPK et deux mortiers qui sont tombés dans les filets des gendarmes et des militaires dans ces régions frontalières. «De quoi bien équiper une compagnie d’infanterie, surtout si l’on compte les véhicules qui vont avec», déplore une source militaire. Selon lui, il est possible que les armes aient précédé une infiltration d’hommes, toujours plus facile sans équipements lourds.
Comment interpréter donc cette multiplication d’armes lourdes dans le Sud algérien et quel impact sur la sécurité en Algérie ? Nous avons posé la question à Abelhamid Larbi Cherif, ancien officier supérieur de la lutte antiterroriste. «Les saisies faites dans l’extrême Sud, en particulier celle du 12 avril au sud d’Adrar, sont probablement liées au groupe de Mokhtar Belmokhtar, qui parierait sur un éventuel relâchement de la sécurité au Sud-Ouest pour s’attaquer à des cibles spectaculaires, comme la Minurso ou les humanitaires dans les camps de réfugiés ou même les champs pétroliers d’Adrar.»
Dissémination sahélienne
Cette différentiation faite par l’expert s’explique par la nature et la qualité, voire l’origine des armes retrouvées dans l’extrême Sud comparées à celles saisies à El Oued. Les premières venaient probablement du Sahel, avec des équipements usés jusqu’à la corde, dont certains font figure d’armes de collection, comme les fusils Mosin Nagant retrouvés au sud d’Adrar le 12 avril et qui datent d’avant la Seconde Guerre mondiale.
Ils correspondent aussi aux armes que saisissent régulièrement l’ANP et la Gendarmerie nationale depuis trois ans, et le renforcement des mesures de sécurité dans le Sud. Ce que beaucoup attribuaient à de la dissémination des arsenaux de Kadhafi n’était en fait que la circulation d’armes des conflits soudanais et tchadiens. Ce qui n’est pas le cas des armes saisies à El Oued qui, en très bon état, font partie des équipements militaires de l’ancienne armée libyenne, ou dans le cas des six lance-roquettes antichars, des armes importées illégalement par la milice Fadjr Libya, via des Etats du Moyen-Orient.
Pour Abdelhamid Larbi Cherif, le plus alarmant est qu’un réseau de contrebande «ne s’établit dans la durée que quand ses chances de succès sont modérément grandes. Au-delà d’un taux d’échec de 15 ou 20%, le réseaux change automatiquement de point de passage». Cela implique donc que les quantités d’armes saisies ne sont qu’une petite partie de l’iceberg et qu’il existerait probablement des caches d’armes déjà bien pourvues. A quoi correspond ce type d’armement ? A deux configurations, nous répond un officier : à la volonté de tenir un siège long ou de lancer des attaques sur des infrastructures militaires importantes pour récupérer encore plus d’armement.
Petits maquis
«Si durant la prise d’otages de Tigentourine les terroristes avaient disposé de canons antiaériens en quantité et de mortiers, ils auraient empêché les hélicoptères de l’armée d’intervenir et d’utiliser avec précision leur armement dans un environnement aussi sensible. Ils auraient aussi, en parallèle, mis en difficulté les troupes qui encerclaient la base en élargissant le périmètre de leur présence jusqu’à la limite de portée des mortiers, soit 3 km au moins.» Selon notre interlocuteur, les quantités introduites sont trop importantes pour de simples actions d’éclat. Elles sont plutôt là pour fixer de petits maquis avec une puissance de feu considérable dans le Sud, car il reste très dur d’imaginer qu’autant de matériel puisse être acheminé vers le Nord.
A qui profiterait le crime ? «Si les organisations terroristes classiques du type Aqmi ou Etat islamique sont en guerre ouverte avec l’Algérie, il est aussi possible que certains acteurs gouvernementaux de la région ou de la sous-région y voient une opportunité pour déstabiliser l’Algérie. Un royaume voisin de l’Algérie, grand pourvoyeur de terroristes en Libye, au Moyen-Orient et même en Europe, qui a récemment distribué de grosses quantités d’armes à la Mauritanie, semble avoir passé un marché avec les organisations djihadistes et demeure étonnamment préservé.
Des monarchies du Golfe, excédées par l’attitude d’Alger et très impliquées militairement en Libye, seraient aussi intéressées par la fragilisation de l’Algérie et le sabotage de son industrie pétrolière, estime notre source. Et puis il y a les forces qui ont fait basculer la Libye et la Syrie dans le chaos, qui ont compris qu’il serait difficile de parier sur une dislocation de l’Algérie, l’effondrement de son armée et la dispersion de ses armements et qui seraient en train d’y pallier en injectant un important potentiel en puissance de feu en attendant le moment propice.»
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